À l’heure où les blocs idéologiques se reconfigurent mondialement — entre autoritarismes souverainistes et libéralismes épuisés — la France s’obstine à maintenir un pouvoir technocratique qui prétend tout synthétiser sans rien assumer. Ce "bloc central", qui se présente comme le rempart contre les extrêmes, est en réalité le cœur actif d’une logique de neutralisation des consciences.
Ce texte entend démontrer que ce centre n’est pas un équilibre, mais une confusion. Qu’il ne protège pas, mais désarme. Qu’il n’élève pas, mais dépolitise. Et qu’en refusant de nommer les forces de désagrégation qui montent — du trumpisme global au bollorisme local, en passant par les impasses du néolibéralisme —, il devient complice actif du déclin démocratique.
Le "en même temps" macronien, loin d’être une synthèse dialectique, est devenu un outil de brouillage idéologique. En prétendant dépasser les clivages, il les rend illisibles, empêchant toute opposition structurée. Cette stratégie favorise l’émergence de discours extrêmes, faute de repères clairs.
Parallèlement, l’effondrement des grandes traditions morales européennes — notamment les héritages protestants et franc-maçonniques, en particulier dans leur version anglo-saxonne — a privé le politique de son fondement éthique. Ces traditions avaient porté l’émancipation, la justice, la rationalité critique. Elles ont été diluées dans un individualisme consumériste, dans une économie du moi, dans des quêtes de reconnaissance à très court terme, abandonnant ainsi toute ambition collective. Le progrès est devenu un slogan publicitaire.
Cette dépolitisation de l’humanisme crée un vide que remplissent les fausses radicalités. Donald Trump et Vladimir Poutine, bien que issus de contextes différents, partagent une stratégie politique similaire : valorisation de l’homme fort, mépris des contre-pouvoirs, populisme réactionnaire, et manipulation de l’information. Le trumpisme, avec son recours systématique au mensonge et à la mise en scène émotionnelle, produit une logique politique profondément semblable à celle de Vladimir Poutine. Ces deux figures, loin d’être des anomalies, incarnent les conséquences logiques d’un monde désorienté. Ce sont les produits symétriques d’un système fatigué de la vérité, cherchant dans la force et la ruse une réponse à son désarroi moral.
En France, Vincent Bolloré incarne une forme indigène de ce phénomène. Par sa mainmise sur CNews, Europe 1, Le JDD, Paris Match, et d'autres organes, il a créé un écosystème de bruit, de peur et de ressentiment, qui ne repose pas sur l’analyse, mais sur l’agitation continue. Ce projet médiatique substitue à l’intelligence collective une réactivité émotionnelle permanente, jouant l’indignation contre la pensée, et transformant le débat public en arène hystérique. Bolloré est ainsi un agent culturel du désenchantement, un pourvoyeur de colère mal dirigée, qui ne cherche pas à construire, mais à rentabiliser la haine. La responsabilité est immense : chaque jour, des millions de personnes sont exposées à des récits fabriqués pour provoquer, diviser, désarmer. C’est la victoire du réflexe sur la réflexion.
La violence politique actuelle, qu’elle soit institutionnelle, médiatique ou guerrière, ne peut être pensée en dehors de cet effondrement des repères. Les clivages classiques ont explosé, les repères idéologiques se sont effondrés, et les peuples, au lieu de se rassembler autour de l’essentiel, sont livrés à la panique, à l’hostilité, au réflexe de survie identitaire. Face à cette débâcle, un pacifisme lucide est nécessaire : lucide sur les dangers des régimes autoritaires, sur les dérives de nos démocraties technocratiques, sur la manipulation émotionnelle des médias dominants, et sur le rôle des progressismes de marché qui masquent leur nihilisme derrière des avancées sociétales coupées du réel. Il ne s’agit pas de renier les combats d’émancipation, mais de les replacer dans une cohérence anthropologique et sociale, ancrée dans la réalité humaine.
Il s’agit surtout de réactiver l’esprit des Lumières, non comme dogme figé, mais comme élan de discernement, de liberté intérieure, de justice collective. Repenser la politique non pas comme gestion de l’émotion publique, mais comme science du commun et art du juste. Sortir des automatismes réactionnels et des emballements de l’indignation. Réarmer la pensée pour qu’elle redevienne opérante.
Ce que nous vivons n’est pas seulement une crise économique ou géopolitique. C’est une crise de la parole. Une guerre des récits. Une épreuve de lucidité. Dans ce tumulte, la tâche n’est pas seulement d’alerter, mais de refonder. Refonder une politique qui ne soit ni la dictature des marchés, ni la brutalité des États, ni le divertissement des chaînes privées. Refonder une pensée qui ne soit ni technocratique, ni hystérique, mais capable de tenir ensemble le souci de la vérité, la dignité du peuple, et la mémoire du monde.
Contre les clivages artificiels, les alliances faussées, les hystéries médiatiques et la mise en marché des consciences, il est temps de poser les bases d’un réveil. Ce réveil ne sera ni nostalgique, ni utopiste. Il sera lucide, ancré, pacifique — et radical dans son exigence d’humanité.
Mardi, 27 Mai 2025 18:48